CIMAISES:Guillaume
Leunens
Entre l’
«
action painting » où le geste spontané a,
théoriquement,
comme seul guide, les impulsions du subconscient et le
géométrisme
calculé où les formes, les lignes et les couleurs
répondent
à une organisation intentionnelle, et contrôlée de
la surface du tableau, l’art non-figuratif couvre un large univers,
dont
le centre demeure avec évidence et même avec instance,
l’homme.
Non pas un être absolu, une sorte d’archétype, ni
même
l’image rassurante du « mens sana in corpore sano », mais
un
homme fait d’inquiétude et d’espérance, convaincu que les
apparences immédiates ne sont pas des limites
irréductibles
et qu’au-delà de l’objectivité de la raison, de la
logique
s’ouvre un autre univers, qui est aussi le sien.
Une partie
de l’art non-figuratif a voulu prospecter ces zones encore obscures et
créer un langage qui puisse devenir aussi représentatif
que
celui des formes empruntées à la
réalité.
Les oeuvres de Guillaume Leunens offrent, à ce titre, un bel
exemple
d’équilibre entre ce que devine le poète et ce que sait
le
peintre, entre ce que l’artiste conçoit en tant que plasticien
et
ce qu’il exprime d’indéfinissable et de mystérieux dans
ses
tableaux.
Ces oeuvres
font penser à une forme de néo-expressionnisme, dont le
lyrisme,
au lieu de se développer en vagues tumultueuses, a
été
canalisé dans une architecture assez rigoureuse. La construction
repose sur un jeu de surfaces quadrangulaires, allongées dans le
sens de la verticalité et qui engendre un rythme de lignes et de
formes. Par sa peinture même, Guillaume Leunens enveloppe cette
construction
et lui enlève une trop grande rigueur géométrique
en l’intégrant dans des modulations de couleurs, dans des
dégradés
du clair au foncé, en faisant passer certaines formes de la
précision
des lignes à l’imprécision. Quelques arêtes
de
cette architecture sont accusées par un léger relief,
préalablement
obtenu, au moment de l’encollage sur panneau rigide. La peinture
terminée, elles ont pour effet d’accrocher la lumière et
de souligner ainsi certaines lignes par un brillant naturel, selon leur
exposition à la clarté.
La
lumière
joue d’ailleurs un rôle essentiel dans les oeuvres de Leunens,
une
lumière qui n’a guère de relation avec celle des
impressionnistes,
qui prend plutôt l’aspect d’une clarté «
rembranesque
», sans que l’on puisse, à proprement parler, la
qualifier
de clair-obscur. Il s’agit plutôt d’ombre enveloppante,
trouée
çà et là par de vives clartés . En fait,
cette
lumière, qui est aussi couleur, crée un climat, de
violence
parfois, comme dans « Néron », ou de mystère,
comme dans « Isis ». Elle apporte par ses modulations, par
sa tonalité dominante, une atmosphère plus psychologique
que physique, à ces étranges architectures, temples
et cathédrales, en dehors du temps et de l’espace.
André Marc, Bruxelles, La Lanterne, 6-7 mai 1961.